[1] En dehors des références bibliographiques mentionnées en notes de bas de page, les informations de cet article proviennent des souvenirs de l’auteur et des rencontres avec les témoins qui ont côtoyé Vitalis à Plestin et que je remercie vivement ici, en particulier Mme Le Gail (dcd). L. Lintanf, Sénéchal. C. Thorailler ainsi que la famille Ory et MM B. Levron et P. Hamon. Ma reconnaissance va aussi à mon collègue Florent Miane qui a bien voulu porter un regard indulgent et néanmoins acéré sur ce texte.
[2] Emmanuel Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Paris, 1976, t. 10, art. Vitalis, p.539 ; Léo Kerlo et Jacqueline Duroc, Peintres des côtes de Bretagne. De ia baie de Saint-Brieuc à Brest. Chasse-Marée, 2004, p. 136-137. En dehors des sources précisées, articles de journaux des grands moments de sa carrière plestinaise (concours, expo, départ) et témoignages.
[3] Au moins à partir de 1937 puisqu’il peint à cette date des « maisons à Puteaux ».
[4] Jacques Villon est un des représentants de l’avant-garde française à l’Armory Show de New York en 1913 et l’un des théoriciens du mouvement cubiste la « Section d’or » avec ses frères Marcel Duchamp et Duchamp-Villon. mouvement qui renouvelle ledit cubisme.
[5] Les Philippines appartiennent aux États-Unis de 1898. année de naissance de Vitalis, à 1946.
[6] Vitalis, ou le groupe, est accompagné d’une artiste qui donne un récital à Plestin (P. Hamon).
[7] Source : coupures de presse, non datées, de cette époque, issues du Télégramme. d’Ouest France et du Trégor, collection de l’auteur.
[8] Devenu depuis l’EHPAD Le Gall.
[9] Il est aujourd’hui dans le bureau du maire de Plestin.
[10] Témoignages recueillis le jeudi 19 août 2010 après une conférence donnée à Plestin sur Vitalis. rencontre des 7 mai 2011 et 13 août 2015 avec Lucette Lintanf et souvenirs personnels de l’auteur.
[11] Art. de journal, 1976, sd, au moment du concours de portraits.
[12] On connaît de lui plusieurs représentations d’orchestres, de musiciens et de ballerines.
[13] Ces supports improbables posent d’ailleurs de gros problèmes pour la conservation de certaines œuvres.
[14] II accorde par ailleurs une grande importance à l’astrologie.
[15] Louis-Claude Duchesne, à l’occasion du retour définitif de Vitalis aux Philippines.
[16] http:///www. weblettres. nel/blogs/article.php?w=penker5A C&e_ id=52 761 : « Macario Vitalis : un célèbre peintre à Plestin-les-Grèves ? » Par T. Derlot, publié le samedi 11 février 2012 à 21:05 dans « La galerie des artistes ».
[17] D’autres peintres cubistes ou d’inspiration cubiste ont peint la Bretagne avec des accents proches de Vitalis comme Yves Alix, « La crique » (1913), Henri Le Fauconnier. « Maisons dans les rochers. Pioumanac’h » (1913), Thadée Makowsky, « Village breton » (1913). Conrad Kickert, « Le village de Pioumanac’h » (1913) ou Georges Sabbagh, « Synthèse de Pioumanac’h »(1920). Voir Denise Delouche, « Les peintres de ia Bretagne ». Palantines, 2011, pp. 256-258.
[18] Emmanuel Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers. Paris, 2e édition, 1966, art. Vitalis.
[19] Inspirés par la physique et la notion de décomposition de la lumière, le pointillisme se définit d’après Seurat par quatre partis-pris : « Diviser, c’est assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la coloration et de l’harmonie : 1°) par le mélange optique de pigments uniquement purs (toutes les teintes du prisme et tous leurs tons) ; 2°) par la séparation des divers éléments (couleurs locales, couleurs d’éclairage, leurs réactions) ; 3°) par l’équilibre de ces éléments et leurs propositions selon les lois du contraste, de la dégradation et de l’irradiation ; 4°) par le choix d’une touche proportionnée à la dimension du tableau», cité in Germain Bazin. L’univers impressionniste. Paris, 1981, pp. 137-138.
[20] Germain Bazin, op.cit., p. 256.
[21] On pense bien sûr à la cathédrale de Rouen ou aux meules de Monet.
[22] Jusqu’à la montagne de boîtes de conserve à l’arrière de Guergay qu’il partage avec Gauguin.
[23] N’hésitez pas à me contacter : Yves.Coativy@univ-brest.fr
MACARIO VITALIS, PEINTRE DE LA BRETAGNE (1898 – 1989)
Article d’Yves Coativy [1]
publié dans « Les cahiers de l’Iroise, N° 221 – Juillet-Décembre 2015, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Société d’Études de Brest et du Léon (SEBL).
Dans mes souvenirs, Macario Vitalis apparaît sous l’aspect d’un personnage voûté, au visage rond et jaune tacheté de noir, portant une canne à pêche et descendant vers la mer. Enfant, il m’inquiétait un peu même si lors de ses passages à la maison, il était très sympathique. Il habitait un peu plus bas que chez nous et on le voyait passer à pied, vacant à ses affaires. Les pièces qu’il habitait au rez-de-chaussée du petit manoir de Guergay étaient sombres et il est étonnant de penser que c’est là qu’il travaillait à des tableaux très colorés ! Tout le monde savait qu’il était peintre et les gens du pays possédaient tous un « tableau de Vitalis » mais bien peu alors connaissaient alors la réalité de sa vie et, encore actuellement, l’ampleur de son œuvre. Cet article a pour but d’éclairer l’œuvre breton de l’artiste, encore victime vingt-six ans après sa mort de ce que l’on pourrait appeler le « syndrome du prophète », plus connu et reconnu dans le monde que chez lui !
Une biographie en demi-teinte
Dresser sa biographie est un exercice difficile. Pour l’écrit, on ne possède guère que quelques articles de journaux parus à la fin de sa vie plestinaise, quand il connaît une certaine notoriété, et des notices de dictionnaires, parfois imprécises. Pour l’oral, les souvenirs des Plestinais sont une base indispensable mais il subsiste malgré tout de larges parts d’ombre.
Un début de carrière international
Macario Vitalis est né à Lapog (Philippines) le 20 août 1898. Il quitte son pays mais sa sœur, architecte de renom, y reste. Il découvre très tôt son don pour la peinture et part étudier de 1920 à 1922 à l’École des beaux-arts de San Francisco (Californie) puis jusqu’en 1924 à celle de Philadelphie (Pennsylvanie). C’est ensuite Londres puis la France. Il arrive à Paris vers 1925-1926 [2] Il y connaît la misère dans son atelier de Montmartre, vend des tableaux au Pont des Arts, fréquente aussi le « Bateau Lavoir » et rencontre les grands noms du moment comme Picasso, Prévert, Reno. Il adopte un style « Montmartre-école de Paris », pas très original, encore que cette partie de son œuvre reste encore à découvrir.
Dans les années 1930, il s’établit à Puteaux [3]. Il y fait la connaissance de Camille Renault, surnommé Big boy en raison de son embonpoint. Il fréquente aussi bien son restaurant, la Cantine des peintres que le Bateau de pierre, une maison où Camille Renault réunit des artistes et organise des concours de peinture entre des tableaux traitant d’un même thème. À la mort du mécène survenue en 1984, des tableaux de Macario Vitalis sont vendus et il n’est pas rare d’en trouver de cette provenance, souvent sans signature. C’est là qu’il rencontre Jacques Villon [4], qui exerce une grande influence sur son oeuvre et l’oriente vers le cubisme. Possédant un passeport américain [5] , il est arrêté par les Allemands en 1941, enfermé au stalag 23 de Compiègne et libéré en 1944.
Après la Seconde Guerre mondiale, des colonies de vacances sont organisées pour aérer les enfants de la région parisienne. La municipalité communiste de Puteaux envoie les siens vers une autre ville côtière de la même obédience politique, Plestin. C’est en encadrant une de ces colonies de vacances que Vitalis découvre en juillet 1946, par hasard, la petite ville trégoroise et s’y installe. Il interrompt alors son nomadisme pictural mais garde néanmoins des liens avec son mécène puisque plusieurs tableaux représentant des endroits de la région plestinaise figuraient dans la collection de Camille Renault.
Installation à Plestin
La colonie de vacances, dirigée par M. Dérumet, peintre amateur, s’installe à l’Hôtel Bellevue. M. Dérumet revient par la suite, pour peindre, en pension à l’Hôtel de Trévros. Vitalis est accompagnateur, il a alors 48 ans et cherche peut-être à se poser [6] . Plestin lui apparaît comme un paradis. Le choc de la lumière et les paysages le poussent à revenir. Il accompagne encore la colo en 1947 et peut-être en 1948 puis il vient seul, dans un premier temps à l’Hôtel Bellevue puis ensuite sous une tente sur la plage à Saint-Michel-en-Grève. Une Plestinaise, Mme Jourdren, locataire au 49, avenue des Frères-Le-Gall, prend en affection cet original et obtient des Ory, propriétaires de la maison où elle habite, qu’il puisse y loger. Il occupe alors une petite chambre mansardée en haut à gauche de la maison. Un petit « sentier » serpente entre son lit, ses affaires personnelles et ses tableaux. Mme Jourdren, qui possède une machine à tricoter, réalise des pulls pour l’artiste et son mécène, Camille Renault. Une des filles des propriétaires, Monique Ory, se souvient de ses frayeurs quand elle le voyait descendre pour aller pêcher, harnaché de cannes et d’haveneaux. Il s’établit définitivement à Plestin en 1957 mais cela ne l’empêche pas de se rendre régulièrement à Paris et au moins une fois aux Philippines en 1962 après la mort de sa sœur.
Il quitte la maison des Ory, entre 1960 et 1965, pour aller habiter un peu plus bas vers Saint-Efflam, à Guergay. S’ouvre alors une longue période difficile pour ne pas dire de misère et il faut attendre les années 1970 pour que son nom apparaisse dans les journaux [7] . En 1974, il organise un concours pour départager cinq de ses tableaux représentant des jeunes Plestinaises en habit traditionnel. Il les dépose à l’Hôtel des Voyageurs et les soumet aux suffrages des Plestinais. 600 personnes les voient et les jugent. Chantal, le n°3, l’emporte et le tableau est donné à la mairie de Plestin. Marcel Hamon est alors maire et s’engage à le placer en lieu et place de celui du Président de la République…
L’œuvre se trouve encore à l’hôtel de ville mais sur le mur de l’escalier qui mène à la salle du conseil. Ses modèles s’appellent Chantal, Marie-Thérèse, Catherine, Martine et Patricia, jeune Plestinaise de 16 ans. Mme Alain-Le Sénéchal remplit aussi ce rôle. Un an après ce don, Vitalis devient citoyen d’honneur de la ville de Plestin. Il organise un nouveau concours un an plus tard et offre les trois tableaux au Foyer-logement [8]. Ils représentent symboliquement les trois âges de la vie.
La reconnaissance arrive enfin dans les années 1980. Le lundi de Pâques 1982, le sculpteur de Trémel Lucien Prigent réalise le portrait en bois de Vitalis et l’offre au peintre [9] en présence de l’ambassadeur des Philippines, Felipe Mabilangan, et de sa famille, du secrétaire permanent des Philippines à l’UNESCO (Carlos Arnaldo) et d’une délégation d’artistes (Ben et Caroline Cabrena, Marc et Ofelia Tequi). Suit une fête campagnarde autour d’un cochon de lait. Une exposition a lieu du 13 au 21 août 1984 et 4 000 cartes postales numérotées sont émises à cette occasion. Vitalis offre trois toiles d’une valeur de 5 000, 1 600 et 1 200 francs qui font l’objet d’un tirage au sort. Les organisateurs font appel à des bénévoles pour assurer le gardiennage de l’exposition. Au même moment (août 1984) dans son pays natal, des manifestations anti-Marcos commémorent l’assassinat de Benigno Aquino. Un an plus tard, Vitalis décide de rentrer au pays. Il y meurt le 8 juin 1989.
Portrait de l’artiste [10]
Bernard Herry, correspondant du Télégramme et d’Ouest-France le décrit en 1976 : « Les vêtements et le visage recouverts de peinture, une allure dodelinante, un sac de provision à la main, les Plestinais ont souvent rencontré ce petit homme aux traits asiatiques dans le bourg ou sur la route de Saint-Efflam. Les plus curieux se sont inquiétés de son identité. Les autres l’ignorent encore. Telle est la destinée des artistes. Grâce à son ami de toujours, nous avons pu le découvrir au milieu de ses tableaux, tel qu’il est simple, timide et accueillant [11] ». Il peint sur une poutre de la pièce qu’il habite à Guergay la réflexion d’un philosophe chinois qui entre tout-à-fait dans cette logique : « Vous me demandez quel est le suprême bonheur ici-bas ? C’est d’écouter la chanson d’une petite fille qui s’éloigne après vous avoir demandé son chemin ».
On ne sait pas grand-chose de ses sources de revenus. Il vend des tableaux à des familles plestinaises, le prix étant fixé au nombre de « points », ou il les échange contre de la nourriture. Un acheteur, que l’on dit Parisien – ou Belge ou Hollandais selon les témoignages -, lui achète des tableaux en grand nombre ainsi que des esquisses. Des galeristes lui achètent des œuvres et il m’a confié une fois, alors que je demandais à acquérir des esquisses de ses tableaux, qu’un galeriste parisien les lui prenait systématiquement. Une exposition de temps à autre dans une galerie parisienne ou dans les Côtes-d’Armor lui permet de gagner un peu d’argent. Il paye aussi sa location en tableaux. Il se fait assez facilement rouler par des gens qui le font boire pour lui dire ensuite qu’ils ont payé car face à la boisson, il connaît peu de limites. Il peint la nuit en écoutant de la musique* [12] . Il réalise parfois de très grandes toiles comme les paysages exposés à la mairie de Plestin ou cette œuvre de plus de 5 mètres pour une ambassade asiatique, ce qui l’oblige à abattre un pan de mur pour la faire tenir chez lui !
Sinon, il survit grâce aux dons de ses voisins et amis, du produit de sa pêche et il fait aussi pousser quelques légumes sur le talus situé en face de Guergay, dont des courgettes et des aubergines mais aussi des melons à une époque où ces légumes étaient encore rares dans les jardins de la région. Connaissant ses qualités de pêcheur, des Plestinais lui passent aussi commande de poissons qu’ils paient ensuite. De temps en temps, il demande à être transporté en voiture à Lannion pour y acheter des toiles et de la peinture. Quand sa situation financière est plus difficile, il envoie quelqu’un à sa place chez le marchand de couleurs. A celui-ci de se débrouiller pour préciser quand le peintre viendra régler la facture… L’entrepreneur François Hamon, voisin quand il habite route de Saint-Efflam, lui fabrique des cadres et des cannes à pêche. Quand les temps sont encore difficiles, il peint sur du bois récupéré sur la côte et parfois maculé de cambouis ou encore sur des chutes de contreplaqué glanées chez les artisans du quartier [13] . Il donne aussi des cours de peinture aux petits Plestinais, pas forcément passionnés par cette activité… Par la suite, il participe aux cours d’arts plastiques de Mme Le Bihan, au collège du Penquer.
C’est un grand pêcheur et on le voit partir aux aurores vers Saint-Efflam ou Toul-ar-Vag pour traquer le bar. Il utilise des techniques parfois curieuses comme celle qui consiste à attirer les éperlans à l’aide d’une tête de mouton faisandée accrochée à un pieu planté sur la plage. Les petits poissons attirent les gros et la pêche est bonne. Comme on vient de le voir, il lui arrive des vendre ses meilleures prises pour en tirer un peu d’argent.
C’est un fin gastronome, capable de dépenser beaucoup pour un bon repas ou une bonne bouteille de vin. « Dans sa maisonnette, entre fourneau de fin cuisinier et chevalet toujours prêt, ne s’embarrassant point de superflu dans un curieux désordre apparent, il continue son oeuvre, s’accorde une sortie à Lannion, histoire de fouiller parmi les bouquins d’art et de cosmographie [14] . La porte des amis est toujours ouverte. On admire et on respecte ce philosophe peintre [15] ». Il vient parfois cuisiner le poisson et déjeuner avec des Plestinais, chez les Daniel, par exemple. Un témoignage pris sur internet, signé Olivier, rappelle ses talents de cuisinier : « il faisait très bien la cuisine, je me souviens d’avoir mangé du sanglier mariné dans le porto et cuit au feu de bois [16] ». Dans les années 1960, il invite un Plestinais à venir manger une spécialité philippine, le poulet cuisiné à l’eau de mer. Bien élevés, les invités mangent poliment un plat inhabituel aux palais bretons… Le reste du temps, il s’alimente avec des boites de conserve comme l’atteste la petite montagne de boites vides qui s’empilent derrière Guergay. Quand il doit recevoir à déjeuner ou à dîner, comme c’est trop encombré chez lui, il reçoit chez Mme Lucette Lintanf chez qui il fait la cuisine. Il est même arrivé que lors de la préparation d’un coq au chambertin, une des deux bouteilles disparaisse avant la fin du plat.
Il est heureux dès qu’il a du monde autour de lui. Mme Lintanf, sa voisine, est souvent mise à contribution. Elle lui prépare des repas et au volant de sa 2CV Citroën, elle lui rend service et voiture des amis et relations. Lors de la visite de deux responsables, l’un de l’UNESCO et l’autre du Musée du Film des Philippines, c’est elle qui va les chercher à la gare de Plouaret. En remerciement, ils invitent les Lintanf à déjeuner à l’Hôtel des Voyageurs. Il fête ses 80 ans dans le hangar d’Yvon Daniel puis le soir chez Mme Lintanf. S’il arrive à Vitalis de monter en voiture et de prendre le train, il a en revanche la phobie de l’avion. Il est aussi passionné de sport et regarde les matchs de rugby et de tennis sur les postes de télévision de ses amis. Il préfère le rugby. « Plus viril que le foot ». En matière musicale, il penche pour le classique. « Wagner est trop violent, je préfère Schubert, Vivaldi, Mozart et Beethoven ! La Pastorale… et Bach : c’est grandiose ! ». Il a peint un orchestre et on trouve parmi les musiciens un personnage sans instrument : au spectateur d’imaginer.
Style pictural et thématiques
L’évolution picturale de l’artiste est assez difficile à décrire mais offre plusieurs curiosités. Il suit dans un premier temps les courants de l’École de Paris et on lui doit des tableaux représentant, par exemple, Montmartre et la place du Tertre. La rencontre avec Jacques Villon est cruciale et le pousse vers le cubisme. Après son installation à Plestin, son œuvre s’oriente vers le pointillisme. Cette évolution pose deux problèmes. Le premier est qu’il va à contre-courant des grandes écoles de la peinture contemporaine. Le second vient du fait qu’il peut livrer au même moment des œuvres de facture totalement différente. Il faut donc rester fort prudent sur la datation des tableaux à l’estime.
Des influences variées
Dans l’entre-deux-guerres, on connaît de lui des paysages de villes dans l’esprit de l’École de Paris mais il est difficile de savoir si c’est réellement son style ou s’il les produit pour satisfaire une clientèle qui cherche ce genre de tableaux. Il approfondit certainement le cubisme et l’abstraction avec les peintres de l’entourage de Camille Renault et on lui doit des œuvres bien inscrites dans ces courants [17] .
A ses débuts à Plestin et jusque dans les années 1960, il pratique dans l’ensemble un art fortement inspiré de l’impressionnisme mais qui tire volontiers vers le cubisme voire l’abstraction. C’est semble-t-il au milieu des années 1960 qu’il adopte la technique pointilliste qu’il trouve la meilleure pour rendre la lumière et faire partager ce qu’il ressent. « J’y suis venu il y a une vingtaine d’années. Je ne sais pas pourquoi mais c’était ma façon de communiquer ». La sensibilité exprimée par la touche pure, « comme au piano ». « Ce qui importe le plus, c’est la communication avec les gens. Et il faut être sincère, naturel. Je veux peindre ce que je ressens, pas le côté commercial ». Il refuse les nouveaux produits et ne peint qu’à l’huile. « Pas de nouveaux produits, pas de peinture acrylique, elle n’a pas d’âme, c’est comme la matière plastique ».
Dans les années 1970, il revient à un impressionnisme pointilliste mais dans lequel on retrouve parfois des influences cubistes qui se manifestent par une tendance à styliser les masses et par des inclusions de grandes surfaces géométriques monochromes. Il s’agit d’une simplification des volumes sous la forme de figures géométriques simples qui sont conjuguées avec des aplats de couleurs vives. La réalisation en 1982 d’une commande, Trois voiliers dans ia brume à Locquémeau, ouvre une dernière époque dans laquelle les tons se fondent et les limites se dissolvent. Il y renonce peu de temps avant son retour au Philippines. S’il suit une destinée assez proche de celle des Impressionnistes avec un début de carrière parisien puis le départ pour la Bretagne et la consécration à la fin de sa vie, en revanche, il pratique les styles à rebours des époques, s’engageant dans l’avant-garde dans les années 1930 pour revenir dans les années 1960 à un impressionnisme pointilliste daté des années 1870-1880, tout en continuant à livrer des œuvres figuratives et d’autres totalement abstraites. Ces changements de style peuvent dépendre tout autant de ses choix que d’éventuels commanditaires. Avec lui, ils trouvent un art moins virulent et plus accessibles que les avant gardes abstraites qui font rage à cette époque.
C’est son côté « conservateur », fidèle à la figuration, la ligne et la perspective mais néanmoins, le modelé est remplacé par les aplats issu des peintres Nabis. Les retours fréquents vers l’impressionnisme peuvent aussi s’expliquer par le désir de séduire des clients.
L’influence de Jacques Villon est très nette dans la structuration du dessin de Vitalis. C’est ce que mentionne le Bénézit à son sujet : « Son art montre une certaine influence de l’exemple de Jacques Villon [18] ». Il appartient d’ailleurs un moment à l’atelier de Villon avec lequel il travaille et les deux hommes se côtoient dans l’entourage de Camille Renault. La comparaison des tableaux d’avant et d’après-guerre montre tout ce que le Philippin doit au peintre cubiste. Villon a eu une influence considérable sur Vitalis. Cependant, ce dernier utilise plus facilement la couleur que son mentor et même au moment de leur plus grande complicité, Vitalis continue à travailler dans d’autres styles que le cubisme revu par Villon. Il aurait aussi peint un tableau avec Picasso mais il n’a jamais dit lequel. Certaines œuvres, comme un Arlequin vu dans une collection plestinaise et quelques autres (musiciens), dénotent d’ailleurs une influence de Picasso. Il connaît aussi ses homologues de la région comme Bernard Louédin, dont il trouve l’atelier « mieux rangé ».
Souvent, il décompose les portraits, les paysages ou les bâtiments en figures géométriques colorées et ce style est sans doute ce qu’il y a de plus novateur dans l’œuvre de l’artiste. Cette évolution picturale va parfois jusqu’à l’abstraction, involontaire quand il dématérialise les formes des paysages au point que l’identification du sujet devient incertaine, délibérée quand, sur le livre d’or de Camille Renault, en 1961-1962, il réalise deux dessins totalement abstraits. Sa période plestinaise est néanmoins fortement marquée par l’impressionnisme pointilliste. Il partage avec cette école la touche en pointillé, l’utilisation de couleur pure et primauté de la lumière. Mais s’il s’inspire du style pointilliste, il n’en respecte pas vraiment les règles, en particulier celle de pureté des pigments et de proportion de la touche par rapport au tableau [19] . Et s’il peint peut-être en extérieur au début de sa carrière, il semble qu’à Plestin, il travaille essentiellement la nuit et sans doute de mémoire, ce qui explique les décalages que l’on peut remarquer entre la réalité des lieux représentés et leur transposition picturale. Par exemple, le tablier du pont Moalic varie d’un tableau à l’autre et la perspective donne souvent l’impression d’être la variable d’ajustement du tableau.
Il est aussi sculpteur à l’occasion comme l’atteste l’oiseau sculpté dans un bois flotté de la collection de Mme Le Gall ou la poule de même origine conservée dans la famille Ory. Il a aussi réalisé des mobiles mais pour l’instant, il n’a pas été possible d’en retrouver. Cette idée serait venue de Jean Anouilh qui en faisait et dont il aurait eu connaissance par des amis plestinais. Il n’aime pourtant pas beaucoup les supports rigides et leur préfère la toile. « La toile tendue, c’est comme le tambour, il faut de la résonance, que je la sente, d’autant plus que je peins à petits points. Il faut qu’elle réponde. C’est comme pour le piano, il faut faire vibrer, chanter la note ».
Certains peintres ne terminent pas leurs tableaux, volontairement, comme Cézanne à la fin de sa vie, laissant l’image vibrer au moyen d’intervalles qui laissent apparaître le blanc de la toile, un peu comme les aquarellistes [20] . Certaines œuvres de Vitalis ne sont pas toujours très bien « finies », laissant apparaître des blancs et la trame de la toile. On peut y voir sa marque mais ceux qui l’ont connu de près affirment qu’il lui arrive aussi de bâcler son travail pour rendre l’œuvre plus vite.
Des thèmes récurrents
C’est avant tout un peintre paysagiste. Il représente les endroits les plus jolis de la région plestinaise comme le pont Moalic, le manoir de la Tour d’Argent en Locquirec, la balise du Pichodour, le port de Locquémeau, les maisons de ses amis, un arbre en fleurs ou des coins de campagne qui lui plaisent. Ces thèmes correspondent à ceux de l’impressionnisme, très à la mode à cette époque surtout pour la peinture « bretonne ». Il se lance parfois dans des œuvres plus spectaculaires comme La Ronde, très grand format conservé à la mairie de Plestin qui représente la ville et ses alentours. Il peint aussi de nombreuses scènes religieuses. On lui doit donc de nombreuses Crucifixions,Vierge à l’Enfant, Sainte Anne, souvent peintes sur des supports improbables. Il est difficile de savoir si c’est par goût ou pour répondre à des commandes de pieux clients. On peut y voir une influence de la tradition populaire portée par Pont-Aven avec un retour à la religiosité populaire que l’on retrouve chez Gauguin, Sérusier et les Nabis. Il représente aussi des hommes et des femmes.
On connaît des scènes de vie quotidienne : marchande de poissons, de tissu, couple de paysans en train de cuire des crêpes sur un billig posé dans la cheminée, jeunes femmes en costume breton, portraits des enfants d’amis. Son travail semble plus original dans la première moitié de son œuvre plestinaise, alors qu’elle est un peu stéréotypée sur la fin, hésitant parfois entre la représentation réaliste et le folklore. Enfin, on trouve un ensemble de thèmes plus difficile à classer représentation d’orchestres, de ballerines, d’Arlequin, argument sans doute pour assembler librement des couleurs. On notera une tendance au travail de séries et on connaît des endroits comme le manoir de la Tour-d’Argent, Toul-ar-Vag, les Plestinaises qu’il a représentées à plusieurs reprises. Un de ses thèmes favoris est le pont Moalic. Désigné dans la tradition comme « pont romain », il s’agit d’un petit ouvrage sans doute médiéval qui passait sur le Douron et qui permettait de joindre le pays de Plestin à celui de Locquirec. Très pittoresque, il a été détruit après la Seconde Guerre mondiale et remplacé par un ouvrage en béton sans âme mais plus adapté aux contraintes de la circulation automobile. Vitalis est séduit dès son arrivée à Plestin et le peint de façon très réaliste en 1947, soit un an après sa première prise de contact. Il le représente ensuite à de nombreuses reprises, sous différents angles et dans les différents styles qu’il a travaillé, aussi bien cubiste que pointilliste et il le peint encore dans les années 1980. On doit sans doute y voir autant l’intérêt de l’artiste pour l’endroit, ses couleurs et ses perspectives que la demande du public qui veut un tableau comme celui vu chez le voisin. On ne peut s’empêcher aussi de penser à la fragmentation du regard par la multiplication des vues chère aux Impressionnistes [21] .
Si des lieux reviennent régulièrement, d’autres en revanche sont curieusement absents. La côte trégoroise aux alentours de Plestin ne manque pas de jolis paysages et de perspectives intéressantes. Les visiteurs s’arrêtent pour photographier le Grand Rocher qui balise la route qui va vers Lannion, le Rocher Rouge qui ponctue la plage de Saint-Efflam de sa masse noire ou encore telle maison paysanne particulièrement pittoresque. Sauf à trouver des toiles ou des dessins, il semble que ces sujets soient absents de l’œuvre de notre peintre et nous en ignorons la raison. On peut penser que c’est le « pittoresque » qui lui déplaisait et/ou d’autres raisons (couleurs, perspective, structure…) mais nous n’avons pas la réponse. Une meilleure connaissance des tableaux de Vitalis apportera peut-être une réponse ou un démenti.
Un peintre maudit ?
Tous ceux qui ont côtoyé le peintre se souviennent aussi qu’il était très sale. Son rez-de-chaussée de la maison de Guergay était le témoin d’une autre époque, humide, froid et crasseux, seulement chauffé par un petit radiateur et certains hivers, sa vie devait être misérable d’autant qu’avant son retour aux Philippines, il avait de gros problèmes de santé, en particulier la goutte, qui l’empêchait de bouger, et sa vue se dégradait. Il se place dans la tradition des artistes maudits vivant uniquement pour leur art mais dans la misère.
Le phénomène est caractéristique de l’époque impressionniste avec des peintres comme Sisley après 1870, Van Gogh, Gauguin [22] et Filiger. Il est d’autant moins connu actuellement qu’il a toujours vécu pour son art : il ne fréquente que peu la société artistico-mondaine parisienne, les cafés, les vernissages. Il se concentre sur sa peinture dans un endroit fort sympathique mais très éloigné de ceux où les réputations et les cotes se font. Sa vie simple est en complète opposition avec celle qui lui aurait permis de faire une « carrière ». Il semble qu’il ait vendu des tableaux à des musées français et internationaux mais beaucoup restent encore à découvrir.
La première raison d’être de cet article était de rendre hommage à un peintre de la Bretagne méconnu. La seconde était de combler une lacune. Pour encore, l’œuvre et la vie de Macario Vitalis n’ont donné lieu qu’à des travaux sommaires. Il enracine pourtant le cubisme dans le terroir breton comme un art populaire et accessible alors que les avant-gardes progressent à la même époque sur le terrain d’un art de plus en plus conceptuel et abstrait, il nous semblait donc utile de retracer la période plestinaise de Vitalis dont la production sort peu à peu de l’ombre et dont la cote semble se préciser. Cette biographie n’est qu’une ébauche mais nous espérons qu’elle sera le point de départ d’un travail plus vaste, en lien avec l’établissement d’un catalogue raisonné. L’auteur attend donc les compléments d’informations, critiques et commentaires que voudront bien lui communiquer les lecteurs [23] .
Texte de M. Yves Coativy –
publié dans « Les cahiers de l’Iroise, N° 221 – Juillet-Décembre 2015, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la Société d’Études de Brest et du Léon (SEBL).
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