VITALIS et Camille RENAULT
Avant de venir s’installer à Plestin-les-Grèves en 1953, VITALIS a vécu pendant près de 20 ans sous le toit et le couvert du restaurateur-mécène Camille RENAULT à Puteaux. Une longue tranche de vie qui est pourtant très mal connue alors qu’elle est décisive dans le parcours artistique de VITALIS. Taciturne, VITALIS s’est très peu confié sur cette période auprès de ses amis plestinais. Ce qui ne laisse pas d’intriguer sur les raisons ayant poussé VITALIS à quitter Puteaux pour rejoindre Plestin : il est évident qu’une grande proximité humaine a existé entre VITALIS et Camille RENAULT :
- La visite virtuelle du musée de la « Maison de Camille [1] » évoque que « dans la verrière, la vie de ce fils de boulanger est présentée à travers une série de sept toiles réalisées par son ami Macario Vitalis qu’il logea gracieusement dans une chambre de bonne pendant 18 ans. Ces toiles narrant les grandes étapes de sa vie jusqu’à l’ouverture de son restaurant étaient son remerciement » ;
- L’article consacré à Camille RENAULT dans le « Bonjour Dimanche [2] » du 6 mars 1949 indique en conclusion que « Ami des artistes, son « poulain » actuel est un peintre philippin de talent : Vitalis » ;
- Sur le blog dédié à Camille Renault [3], deux témoignages évoquent Vitalis. D’une part, M. G. Alloyeau indique : « J’ai été apprenti chez Camille Renault en 1961-62-63 (…). Beaucoup de bons souvenirs à Puteaux ainsi qu’au Bateau de pierre ou j’ai aussi travaillé de temps en temps. C’était une grande famille avec monsieur VITALIS dont j’ai une toile ». D’autre part, M. Philippe Courtois évoque « Vitalis peintre philippin qui à la suite d’une grosse vente de ses peintures avait loué le théâtre des Champs-Élysées, pour y faire danser la troupe Nationale des Philippines [4]. »
[ 1] Il s’agit du musée dédié à Camille Renault à Puteaux. La vidéo de sa visite est visible à l’adresse : https://www.puteaux.fr/Puteaux-TV/Une-Nuit-confinee-des-musees – [2] Ancêtre de « France Dimanche », également disparu. – [3] http://camillerenault.canalblog.com/ – [4] Il s’agit de la troupe Bayanihan, alors en tournée mondiale. VITALIS aurait assisté à toutes leurs représentations lors de leur passage au Casino de Paris en fin d’année 1962, puis l’aurait suivie pour leur retour aux Philippines en 1962, retrouvant alors son pays natal pour la première fois depuis 1918.
Courrier adressé à Vitalis par sa sœur à l’adresse du « Big Boy » en 1962 (merci à M. Alloyeau)
Vitalis (assis à droite) en camping avec la famille Camille RENAULT (photo M. E. Ledoigt)
QUI ÉTAIT CAMILLE RENAULT ?
Cette présentation reprend un article de Muriel Damoiseau « Camille Renault, restaurateur à Puteaux, collectionneur et mécène (1904-1984) » rédigé à partir d’informations publiées dans la Lettre de la Société Historique Artistique et Littéraire de Puteaux – Shalp de Mars 1991 par Louis Kammerlocker.
Restaurateur de la rue de la République à Puteaux pendant 42 ans (1925-1967), Camille Renault, grand mécène et collectionneur, fit, pendant l’entre-deux-guerres, de son établissement un grand lieu de rendez-vous de peintres et d’amateurs d’art, alors que Puteaux n’était encore qu’une ville industrielle.
Il est né le 2 mai 1904 à TRIE CHATEAU, près de Gisors, de parents et grands-parents boulangers. Dans son enfance, il fréquente l’école communale de Gisors. Au divorce de ses parents, il s’installe rue Clauzel à Paris (9°) chez son oncle, Monsieur LEDOIGT, polytechnicien et secrétaire général à la compagnie de l’Est, grand amateur de peinture classique, qui lui fera découvrir la peinture lors de la visite du Salon des Artistes Français.
C’est le début d’une passion qui ne le quittera jamais. Cette rue comptait de nombreux marchands de couleur. Au 14 se trouvait la boutique du père Tanguy qui fut le lieu de rencontre des plus importants représentants des mouvements impressionniste, néo-impressionniste, symboliste, Nabi, etc. Émile Bernard a pu dire : « L’école de Pont-Aven est née dans la boutique du père Tanguy ».
Vue d’un village normand (Vitalis [5] )
Camille RENAULT et ses parents devant la boulangerie familiale
À 14 ans, apprenti pâtissier chez Bourbonneux, pâtisserie célèbre près de la gare Saint Lazare, il découvre, pendant ses moments de liberté les galeries d’art du faubourg Saint Honoré. Apprenti cuisinier à 17 ans dans le restaurant Marguery, boulevard Bonne Nouvelle, il se rend souvent dans les galeries les plus célèbres de l’époque, Vollard, Sagot, se passionne pour Van Gogh, Gauguin, Matisse, et va même jusqu’à décorer ses plats en s’inspirant des Fauves. A la fin de la Grande guerre, il est cuisinier au restaurant Le Cabaret sur les Champs-Élysées. À 20 ans, alors qu’il pèse déjà 120 kg, il effectue son service militaire au Maroc, en tant que cuisinier de Lyautey à la Résidence Générale de Rabat.
La Boulangerie Bourbonneux – Vitalis
Le Colonel Lyautey et le palais de Rabat – Vitalis
Libéré de ses obligations militaires en 1925, il prend la succession de Monsieur Deveau propriétaire d’un café restaurant à Puteaux situé à l’angle de la rue de la République et de la rue Édouard Vaillant, dont la grande arrière-salle était utilisée pour les noces et banquets, les premières communions et pour les conférences d’éducation populaire organisées par l’Association Germinal. Avec son imposante présence (il pèse plus de 190 kg [6]), il se choisit le surnom de « Big Boy » qui sera aussi l’enseigne de son restaurant.
Restaurant Camille Renault – Vitalis
« Flyer » du restaurant Camille Renault
(merci à M. G. Alloyeau)
Le 18 janvier 1928, il se marie avec Madame Suzanne RUFFET qui hélas ne partage pas les mêmes goûts pour la peinture que son mari. A la même époque, pas loin de son restaurant, se réunit le « groupe de Puteaux » qui rassemble un certain nombre de peintres passionnés par le cubisme, Villon, Kupka (précurseur de l’art abstrait, il a habité à Puteaux, rue Lemaître, de 1906 jusqu’à sa mort), Léger, Gleizes, Metzinger. Jacques Villon, voisin de Camille Renault, vient dîner tous les lundis chez Big Boy avec Lhote, Kupka, Gromaire…et toujours en offrant une toile tous les cent repas.
Jacques VILLON au restaurant « Big boy »
Camille Renault et Jacques VILLON au restaurant « Big boy » – 1957
Les assiettes étaient siglées de la silhouette de Camille Renault
Camille Renault dans son restaurant de Puteaux devant son portrait peint par J. Villon – 1957
En effet, Camille Renault reçoit ces jeunes artistes à bras ouverts avec son fameux « contrat du carton ». Par ce contrat, le restaurateur donnait au peintre un carton comprenant du papier blanc, des pinceaux, une boite de gouache et disait à l’artiste « puisque vous êtes là, vous ferez bien un petit dessin. Par exemple des chevaux ou une femme à la fenêtre ? », ou bien « N’aimeriez- vous pas faire mon portrait ? ». Pour payer son repas, l’artiste dessinait ce qu’il voulait et le mettait dans le carton. Nombreux furent alors les peintres qui dessinèrent Camille Renault. On peut entre-autres citer Jacques Villon, Léger, Braque, Derain, Dufy, Kupka, Dubuffet, etc.
Camille Renault dans son « antre » du sous-sol du 133 Boulevard Haussmann à Paris devant son portrait peint par J. Villon – numéro 243 Magazine « Constellation » – juillet 1968
Portrait de Camille Renault (hst 130 x 97 cm) – 1944 – J. Villon – tableau qui fait partie des collections du Centre Pompidou, et qui est exposé au musée de Rouen
La renommée grandissante de « Big Boy » attira d’autres peintres tels que Picabia et Vitalis et de très nombreux autres artistes fréquenteront son établissement. Son restaurant attirera aussi le tout Paris à Puteaux pour voir les toiles exposées, discuter avec les artistes, mais aussi pour y déguster la « croustade Kupka », « le turbot Villon », le « soufflé Kandinsky ». Parfois un client repartait en ayant acheté une toile.
Il devient alors l’homme le plus portraituré de France. Reynold Arnoux, lors d’expositions qui ont été organisées à Londres et aux USA a montré environ 300 toiles représentant Camille Renault. Mais ce mécène qui offre des repas, de la peinture, ou des toiles sans contrepartie financière, vendra rarement des œuvres et seulement en cas de besoin.
Pendant l’occupation allemande, il ferme son restaurant et s’occupe de la cantine de la Société Générale de TSF réquisitionnée par les Allemands. Après la guerre et jusqu’en 1959, le restaurant redevient le lieu de rencontre à la mode de nouveaux artistes et d’intellectuels comme Sartre, Malraux, Camus. Devant le nombre toujours croissant et impressionnant de tableaux, Camille Renault, qui possède l’une des plus belles collections privées au monde, achète, en 1952, une ferme à Broué, en Eure et Loir, où il ajoutera un nouveau bâtiment « Le « bateau de pierre » et « La Galerie », pour pouvoir exposer plusieurs centaines de toiles.
Camille Renault « aux commandes » de son Bateau de pierre – numéro 243 Magazine « Constellation » – juillet 1968
La salle de restaurant du Bateau de pierre – le premier tableau au fond à droite est « Amazons 2 » de Vitalis
« Flyer » du Bateau de pierre (merci à M. G. Alloyeau)
Le « bateau de pierre » fut souvent transformé, certains de ses plans, non signés, sont attribués à Le Corbusier. De nombreux artistes (Matisse, Le Corbusier, Léger, Villon, Picasso, etc., y avaient leur chambre avec leur nom, et une de leurs œuvres y était accrochée). Dès lors, il partage sa vie entre Puteaux et Broué mais en 1959, un infarctus l’oblige à ralentir ses activités. Une seconde alerte et surtout la mort de son ami Jacques Villon [7] le décide à changer d’activité. En 1967, il vend son restaurant pour acheter une galerie d’exposition au 133 Boulevard Haussmann à Paris et quitte définitivement Puteaux pour habiter au-dessous de sa galerie, dans un deux pièces sans fenêtres, mais décoré de peintures. Toujours mécène, il continue à aider de nouveaux peintres comme Marzeille, Perre, Chevolleau et pendant les dernières années de sa vie, il passe son temps entre Paris et Broué où il y va surtout les weekends.
En 1977, il est admis à l’hospice de Dourdan où il restera pendant 7 ans jusqu’à sa mort le 1er Mars 1984. Il sera inhumé au cimetière de Trie Château, son village natal de Normandie. On ne sait pas ce qu’est devenue sa collection, pourtant riche de près de deux cent tableaux [8].
VITALIS ET CAMILLE RENAULT : UNE HISTOIRE QUI RESTE À COMPRENDRE ET À RACONTER
Tant du côté de Vitalis que de Camille Renault, il reste une histoire à comprendre et à écrire. Aucun livre n’existe sur l’un ou sur l’autre, alors que nous avons affaire à deux personnages étonnants et intrigants. Leur rencontre a dû intervenir vers 1935-1936, par référence au « nu incliné » peint par Vitalis en 1936 et dont le modèle serait l’épouse de Camille Renault.
Camille Renault apposait une marque, sa « signature », au dos des tableaux qui constituaient sa collection personnelle : une « tête de taureau ». Plusieurs tableaux de Vitalis présentent cette signature. Sans en être certain, la numérotation devait logiquement suivre un ordre croissant. Mais existe-t-il une liste de tous ces tableaux ?
Dos du tableau « Paysage au pont – Vitalis – 1946» siglé de la marque de Camille Renault avec le numéro 86
Il est une évidence que le développement artistique de Vitalis a profité de ce long séjour dans un des hauts lieux culturels de cette époque. Il y aura croisé nombre de grands noms de la peinture ou de la littérature, en étant tout particulièrement influencé par Jacques Villon. Le rapprochement des deux toiles ci-dessous laisse peu de place au doute, non ?
Portrait de Camille Renault – 1944 – J. VIILON
Mère enfant – 1950 – VITALIS